Construire un système de santé mentale unifié en Ontario

Par Kim Barnhardt

Si le Dr Paul Kurdyak atteint ses objectifs, d’ici à ce qu’il prenne sa retraite, l’Ontario disposera d’un système de santé mentale intégré pour soutenir les habitants de la province confrontés à des problèmes de santé mentale et de toxicomanie.

Dr Paul Kurdyak

Bien qu’il existe de nombreux services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie dans la province, leur fragmentation et manque de cohésion créent un ensemble désordonné de soutiens et de programmes, indique le Dr Kurdyak, responsable de l’Initiative de l’USSO en matière de santé mentale et de toxicomanie. En tant que directeur vice-président, Clinique du Centre d’excellence pour la santé mentale et la lutte contre les dépendances de l’Ontario, chercheur principal en santé mentale et toxicomanie à l’IC/ES et psychiatre au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), le Dr Kurdyak est idéalement placé pour changer cela.

Plus d’un million d’Ontariens sont aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, ce qui contribue à l’absentéisme au travail, à une baisse de la productivité économique et, surtout, à une diminution de la qualité de vie, voire à un risque de décès pour certaines personnes.

« Une grande partie de mon travail s’apparente à du journalisme quantitatif, à chiffrer la difficulté d’accès aux soins de santé pour les gens — seulement 40 % des personnes ayant tenté de se suicider obtiennent des soins en moins de six mois », déclare le Dr Kurdyak.

Derrière ce chiffre alarmant — qui représente de vraies personnes qui ont un besoin urgent de soins en santé mentale — se cachent de nombreuses questions qui demeurent sans réponse. Qui a besoin de soins? Qui a accès aux soins? Combien de temps les gens attendent-ils? Obtiennent-ils des soins de qualité? Les soins qui leur sont donnés les aident-ils à aller mieux?

Le nouveau Centre d’excellence pour la santé mentale et la lutte contre les dépendances sera essentiel pour unifier les services et les mesures de soutien disparates de la province dans un système permettant aux gens d’obtenir des soins de qualité tout au long de leur vie, ainsi que de répondre à ces questions. S’inspirant du fructueux modèle d’Action Cancer Ontario, qui a été créé pour assurer l’uniformité des soins dans le contexte de la fragmentation des services et des données disponibles au début des années 2000, le Centre d’excellence apportera la même cohérence aux soins en santé mentale et en toxicomanie.

Le partenariat avec les patients

La participation des patients aux soins en santé mentale est essentielle à leur succès. Chef de file en matière de participation des patients, le secteur de la santé mentale a bénéficié de l’expérience vécue des patients et des familles, en particulier dans le domaine de la santé mentale chez les jeunes.

Augustina Ampofo, patiente partenaire

« La santé mentale a ouvert la voie à la recherche en partenariat avec les patients », affirme Augustina Ampofo, membre du nouveau Conseil consultatif sur le partenariat avec les patients de l’USSO et spécialiste de la mobilisation des jeunes au CAMH. « Le CAMH est à l’avant-garde — il fait participer les patients et leur famille et recueille leur rétroaction pour l’amélioration des services depuis longtemps. »

Ayant elle-même vécu une crise de santé mentale et eu accès à un soutien précoce, elle est particulièrement qualifiée pour fournir un point de vue unique et précieux sur la recherche en santé mentale et appuyer les jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale.

« Je travaille dans le domaine de la santé mentale depuis plus de cinq ans et m’appuie sur ma propre expérience. J’ai souffert de psychose et entendais des voix 24 heures sur 24. J’ai eu la chance de pouvoir bénéficier du Programme d’intervention précoce pour la psychose à St-Joseph, à Burlington. »

Le rôle de l’USSO dans le financement de projets pilotes avec des patients partenaires, comme l’essai de mise en œuvre de l’intervention précoce pour la psychose (Early Psychosis Intervention: Spreading Evidence-based Treatment [EPI-SET]), aidera à jeter les bases pour ce système. L’étude EPI-SET montre le succès que pourrait avoir un modèle uniformisé de prestation de soins en équipe dans le cadre d’interventions précoces pour la psychose s’il est mis en œuvre et étendu à l’échelle de la province.

Pour Augustina, l’occasion de contribuer à renforcer la recherche en santé mentale grâce à l’USSO et d’apporter des changements est stimulante.

« Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de voir croître l’engagement des patients en Ontario. Beaucoup de gens aiment parler de la participation des patients à la recherche — j’ai hâte d’apprendre et de voir comment faire participer les patients pour vrai.

J’aimerais voir une harmonisation de la prise en charge précoce des psychoses partout au Canada afin que quiconque en éprouve un premier épisode puisse avoir accès à des soins de qualité n’importe où, n’importe quand », ajoute-t-elle.

Les ressources humaines dans le domaine de la santé

Un système fonctionnel de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie est impossible sans un nombre suffisant de médecins de famille, qui dispensent la majorité des soins de santé mentale dans le système de santé officiel de la province, et de psychiatres spécialisés. Par contre, l’essentiel n’est pas simplement d’ajouter plus de médecins, mais de s’assurer que les modèles de pratique aident les médecins à fournir les meilleurs soins. Compte tenu du niveau élevé d’épuisement professionnel chez les médecins, des lourds fardeaux administratifs, des modèles de pratique changeants et de la rémunération inadéquate des médecins, ce sera un défi.

Mais il existe des solutions possibles.

Les soins en équipe, comme les équipes de santé familiale et les centres de santé communautaires, se sont révélés très prometteurs, ce qui a été validé par les données probantes et la satisfaction des médecins.

« Les médecins ont besoin de soutien pour travailler au maximum de leurs capacités, et cela comprend la réduction des charges administratives, qui augmentent avec la complexité des soins. Les modèles d’équipe et les équipes concertées en santé mentale s’appuient sur des données probantes et pourraient aider à la prestation de soins », affirme le Dr David Rudoler, titulaire de la chaire de recherche sur la santé des populations et l’innovation en santé mentale au Centre des sciences de la santé mentale Ontario Shores à Whitby, en Ontario.

De plus, la façon dont nous rémunérons les médecins est un frein au type de soins dont beaucoup de gens ont besoin. Dans le cadre de recherches en cours, l’équipe du Dr Rudoler entend de façon répétée que les médecins de famille et les psychiatres n’aiment pas la rémunération à l’acte.

En plus du problème bien connu de l’épuisement professionnel chez les médecins de famille, les psychiatres, qui traitent des cas très complexes, mais qui sont parmi les médecins les moins bien payés en Ontario, pâtissent.

« La rémunération à l’acte ne valorise pas la prestation de soins complexes aux patients », dit le Dr Rudoler. « Nous avons créé un système qui n’encourage pas les gens à faire ce qu’il faut — nous espérons qu’ils feront ce qu’il faut. Pourquoi mettre en place un système qui n’encourage pas les gens à faire le travail qu’ils veulent faire? La rémunération est la même qu’il s’agisse de cas simples ou complexes, comme pour les soins de première ligne, selon le même tarif même s’il s’agit d’un diagnostic complexe. »

À son avis, les psychiatres veulent travailler dans des modèles de santé mentale en collaboration avec d’autres fournisseurs de soins, souvent au sein d’équipes de soins de première ligne — dans un modèle d’équipe —, car cela leur permet de travailler au maximum de leurs capacités et de traiter des cas complexes.

« Les chevauchements sont nombreux entre la psychiatrie et les soins de première ligne. Il s’agit de considérer la personne dans son ensemble, dit le Dr Rudoler, mais le système ne leur en donne pas les moyens ».

« Je crois que nous devons augmenter les effectifs pour répondre à la demande croissante, mais cela ne résoudra pas le problème, car les médecins de famille et les psychiatres réagissent à des facteurs dissuasifs — nous avons créé un système qui les dissuade de faire le travail qu’ils souhaitent faire. »

Que faire maintenant?

Pour construire un système de santé mentale, nous devons adopter une approche plus globale qui aide les médecins de famille à fournir des soins de santé mentale, en nous inspirant de ce qui est fait pour d’autres maladies.

« Dans quelle mesure les médecins de famille sont-ils formés à cet égard? », demande le Dr Kurdyak. « Si une personne diabétique se présente et ne répond pas au traitement de première ligne, je sais comment avoir accès à des spécialistes. Si une personne aux prises avec un problème de santé mentale ne répond pas à ce que je fournis, je n’ai accès à aucun spécialiste comme un psychiatre — il n’y a personne pour m’aider. Le résultat est que les patients qui ont des problèmes de santé mentale complexes n’obtiennent pas le même niveau d’accès et la même qualité de soins que les personnes atteintes de maladies physiques comme le diabète. »

« Je travaille dans un service d’urgence psychiatrique et je fais de la recherche sur les systèmes de santé, et les problèmes sont très clairs. J’étais frustré que personne ne s’attaque à ces problèmes. Maintenant, je suis du côté des solutions, donc je ne suis plus frustré, mais simplement stressé », dit le Dr Kurdyak.

Son plan est de continuer à appliquer de manière itérative aux services en santé mentale le programme provincial ayant permis d’atteindre l’excellence dans la prestation de soins pour le cancer et les maladies du cœur. « Au fil des décennies, le système de lutte contre le cancer a évolué de façon à apprendre continuellement. Chaque patient atteint d’un cancer bénéficie des données probantes en constante évolution générées par le système de santé apprenant sur le cancer, et y contribue. Cela a été rendu possible grâce à de nombreuses composantes essentielles : expertise clinique, systèmes de données, analyses. Ces mêmes composantes permettent également les essais cliniques sur l’ensemble de la population comme ceux que finance l’USSO. Notre objectif à long terme est de mettre en place la même infrastructure et les mêmes soutiens pour que la qualité des soins en santé mentale se trouve améliorée, en partie grâce à la recherche sur la mise en œuvre financée par l’USSO. »

L’équipe du Dr Kurdyak a formé un comité d’experts, comprenant des personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète, pour soutenir les propositions de recherche de l’USSO portant sur les questions de santé mentale et de toxicomanie. Il s’agit d’une première étape importante dans la création d’une dynamique visant à résoudre la multitude de problèmes liés à la qualité des services de santé mentale.

Quel est le calendrier pour cet éventuel nouveau système de santé mentale?

« Nous créerons l’infrastructure en deux ou trois ans, lorsque nous pourrons commencer cette recherche », explique le Dr Kurdyak. « Dans dix ans, nous aurons construit une machine et montré son efficacité dans quatre ou cinq domaines, si nous avons la possibilité de continuer. À ce moment-là, je serai prêt à passer le relais à la prochaine génération. »

Il résume sa vision globale d’une autre manière.

« Dans un an, le système sera mis en œuvre, dans cinq ans, les gens le comprendront, et dans dix ans, il sera prêt. C’est à ce moment-là que je prendrai ma retraite », ajoute-t-il en plaisantant.

Voilà un héritage remarquable à envisager alors qu’il travaille avec des partenaires pour faire de ce système une réalité en Ontario.