Une initiative nationale pour le renforcement des soins de première ligne

Quel est le problème le plus pressant en matière de soins de première ligne, non seulement en Ontario, mais dans tout pays?

« Le plus intéressant pour moi, c’est le défi de s’occuper des 6,5 millions de patients qui n’ont pas de fournisseur de soins au Canada; ce n’est pas un problème qui va disparaître », déclare le Dr Onil Bhattacharyya, directeur du Réseau canadien de recherche en soins primaires (RCRSP), un réseau national ayant l’objectif de constituer une base solide pour les soins de première ligne grâce à la recherche et à l’apprentissage. « Il s’agit d’un enjeu auquel toutes les provinces font face, et le gouvernement fédéral y consacre des fonds. Aider pour cela est ce qui me passionne le plus. »

Le Réseau canadien de recherche en soins primaires a pour mission d’établir des réseaux de recherche et d’apprentissage axés sur la pratique dans les provinces et les territoires pour diffuser et mettre à l’échelle les solutions en matière de prestation de soins de première ligne dans l’ensemble du pays. Comme le pays compte 13 systèmes de santé différents, il peut arriver que des innovations voient le jour à l’échelle locale, dans des cabinets de médecine familiale, et le défi est d’être au courant de celles-ci et de les mettre en œuvre à plus grande échelle.

Le Dr Bhattacharyya voit pour le réseau et les groupes connexes d’importantes occasions de systématiquement canaliser les retombées de la recherche pour en faire profiter l’ensemble du pays. C’est un défi qui motive le Dr Bhattacharyya, médecin de famille-chercheur et membre du bureau de la diffusion et de l’adoption à grande échelle de l’Hôpital Women’s College, un centre de recherche de l’USSO.

« Nous avons créé ce réseau parce que la recherche en soins de première ligne est souvent menée à petite échelle, ce qui rend difficile d’avoir un impact, et nous voulons faciliter la mise à l’échelle et la diffusion des innovations », explique le Dr Bhattacharyya. « Nous voulons étudier les soins de première ligne et développer des solutions applicables dans plusieurs provinces, et qui aideront le pays. Quelle est la meilleure façon de fournir des soins de santé de première ligne à la population? »

« La plupart des soins sont des soins de première ligne; c’est le moyen le plus efficace de fournir des soins de santé en général, mais nous ne savons pas toujours comment nous y prendre. »

Parce que le RCRSP a une vue d’ensemble des possibilités qui s’offrent au système de santé du Canada et des défis auxquels il fait face, le Dr Bhattacharyya considère que le rôle du réseau consiste à synthétiser les pratiques exemplaires des provinces et des territoires, en tirant notamment parti de la recherche et des données.

« C’est une infrastructure qui nous permettra d’apprendre systématiquement de la diversité du pays; il s’agit d’une occasion d’apprentissage qui n’a jamais vraiment été exploitée », ajoute-t-il.

Pour garantir que la recherche menée en soins de première ligne est utile, le réseau fait participer les chercheurs, les responsables des politiques, les patients et d’autres intervenants à toutes les étapes du processus de la recherche et de sa diffusion.

Des réseaux d’apprentissage fondés sur la pratique

Un grand nombre de groupes et d’intervenants, tous aussi passionnés par l’amélioration des soins de première ligne grâce à la recherche, le partage de pratiques exemplaires et la mobilisation des patients tout au long du processus, travaillent de concert avec le RCRSP. Les provinces créent des réseaux d’apprentissage fondé sur la pratique (RAFP) pour que des données dépersonnalisées provenant des dossiers médicaux électroniques (DME) de cabinets individuels soient versées dans une base de données commune afin de faire avancer la recherche et d’améliorer la qualité des soins. En Ontario, POPLAR dirige ce travail en collaboration avec six services de médecine familiale et l’Alliance pour des communautés en santé, et avec l’appui du ministère de la Santé et de l’USSO.

L’équipe souhaite mettre en place un système de santé réellement apprenant où les chercheurs et les responsables des politiques peuvent tirer des leçons de l’expérience d’autres régions et adopter des changements de façon relativement rapide. Elle veut tirer profit des compétences et de l’expérience des autres provinces et territoires pour améliorer les soins partout au pays.

« Au bout du compte, nous devons utiliser ce que nous avons entre les mains aujourd’hui, par exemple l’expérience des patients et des aidants et les données sur les résultats, pour améliorer les soins de demain », souligne la Dre Jennifer Rayner, directrice de la recherche et des politiques à l’Alliance pour des communautés en santé et directrice du RCRSP en Ontario. « Cela signifie également favoriser l’accès à des soins équitables, accessibles et axés sur le patient, toutes les caractéristiques des soins de qualité. »

« Souvent, la recherche prend beaucoup de temps à avoir une incidence sur les soins accessibles aux patients. Des études indiquent que cela peut prendre 17 ans, ce n’est plus acceptable. Nous voulons que la recherche puisse être mise en pratique rapidement. »

La Dre Rayner a trouvé la Table ronde sur les soins de santé de première ligne organisée par l’USSO particulièrement utile, car celle-ci a permis d’avoir un dialogue ouvert avec les responsables des politiques présents.

« Après la table ronde sur les politiques, les décideurs nous ont dit ce qu’ils attendaient de nous; ce type de dialogue est très précieux, car nous voulons que notre travail compte », indique la Dre Rayner. « Les soins de première ligne sont une grande priorité pour les responsables des politiques; ceux-ci veulent comprendre ce qu’est l’équité en matière de santé, quel est l’impact de l’équipe [de santé], et la manière concevoir les soins en fonction des besoins de la population au‑delà d’un seul un fournisseur de soins de santé. Quelles sont les mesures qui peuvent être prises pour concevoir la bonne équipe [de soins de santé], de sorte que les collectivités puissent recevoir les soins dont elles ont besoin? Les ressources humaines en santé et l’équité en santé sont des préoccupations de premier plan au niveau de l’établissement des politiques. »

Les membres du Conseil consultatif pancanadien des patients du Réseau canadien de recherche en soins primaires lors d’une rencontre en personne à Montréal. Le patient partenaire Steve Wolinsky (interviewé dans l’article ci-dessous) est troisième à partir de la droite.

Le point de vue des patients

En tant que membre du Conseil consultatif pancanadien des patients du RCRSP, Steve Wolinsky est enthousiaste à l’idée à contribuer à l’amélioration des soins de première ligne en faisant part du point de vue du patient. Il s’est joint au réseau par l’entremise de son hôpital local, l’Hôpital général de North York. Son épouse, la Dre Michelle Greiver, est également la chercheuse en soins de première ligne qui dirige POPLAR. Ingénieur chimiste à la retraite après une carrière variée, il a maintenant la responsabilité importante de communiquer le point de vue du patient dans le cadre de ce travail transformateur. Lors du lancement au RCRSP, les membres du conseil se sont réunis en personne pour renforcer l’esprit d’équipe, réseauter avec les chercheurs et faire connaissance. L’équité, la diversité et l’inclusion ont été un thème prédominant.

« Je n’ai jamais été d’avis que la recherche pouvait être nuisible, mais elle peut le devenir si elle est mal interprétée ou exclut un groupe », indique Steve. « Voilà le genre de chose que nous examinerons en tant que conseil des patients. La recherche est-elle inclusive? Cause-t-elle préjudice? »

Le conseil des patients est un groupe diversifié de dix personnes ayant des expériences variées du système de santé et des points de vue utiles au travail du RCRSP. Il donnera l’assurance que tout est bien pris en compte dans la recherche pour l’ensemble du réseau.

« Y a-t-il des sujets qui reviennent souvent au sein du conseil? L’une des membres n’a pas de médecin de famille, alors qu’elle devrait en avoir un; la pénurie de fournisseurs de soins de première ligne est un thème récurrent », explique Steve. « C’est un enjeu évident. Il y a aussi le fait que les groupes autochtones ne sont pas soutenus comme ils devraient l’être. L’inclusion est importante. Le cas d’un membre de la communauté trans dont les besoins ne sont pas bien compris a été mentionné. »

Les données dans les soins de première ligne

Un autre partenaire dans le domaine des soins de première ligne est Innovations soutenant les soins de santé primaires par la recherche (INSPIRE-PHC), un centre de recherche de l’USSO dirigé par le Dr Michael Green qui étudie les soins virtuels, les défis en matière de ressources humaines en santé et la mise en commun des données sur les soins de première ligne provenant de l’ensemble de la province. L’un de ses principaux objectifs est d’harmoniser les données tirées des DME et de permettre aux cabinets de médecins individuels d’entrer leurs données dans une plateforme centralisée et normalisée qui servira à la recherche. L’objectif? Fournir des soins de première ligne aux Ontariens, idéalement par l’intermédiaire d’une équipe de santé familiale.

« Nous cherchons également à comprendre ce qui se passe au niveau des soins de première ligne et ce que cela a comme incidence sur la santé des patients en Ontario », explique le Dr Michael Green. « Par exemple, nous regardons si les personnes ont un fournisseur de soins de première ligne, si leur dépistage du cancer est à jour, si elles ont été vaccinées contre la COVID-19, à quelle fréquence elles se rendent à l’urgence, et s’il y a des différences pour celles qui ont de la difficulté à accéder à des soins de santé. Voilà le genre de questions auxquelles nous essayons de répondre. »

« Le plus important est d’avoir accès à un fournisseur de soins de première ligne et à l’équipe connexe », dit-il. « Nous savons que cela fait une grande différence. Au fil du temps, la situation s’est détériorée, et il est injuste et inéquitable que des gens n’aient plus de médecin de première ligne. »

Il reconnaît qu’il reste beaucoup à faire pour comprendre quels types de patients n’ont pas accès aux soins qu’il leur faut, quels sont les groupes prioritaires, et si ces patients ont besoin d’un médecin de famille ou d’une équipe de soins élargie.

« Nous n’avons pas de baguette magique et ne pouvons pas sortir des médecins de famille ou des équipes de médecine familiale d’un chapeau, mais les données permettent de comprendre les lacunes et de planifier en conséquence dans les diverses régions », indique le Dr Green.

Quel rôle doit jouer la province?

« Elle doit prioriser les soins de première ligne; elle doit s’engager à ce que toutes les personnes qui le souhaitent — c’est-à-dire presque tout le monde — aient un fournisseur de soins de première ligne. Pour que cela devienne réalité, il faut s’assurer qu’il y ait un financement équitable fondé sur les chiffres de population dans la province, et ce financement doit être destiné à des équipes, car il n’y a pas assez de médecins. Le financement doit être suffisant pour donner envie aux gens de travailler dans les soins de première ligne. Il y a trop de paperasse; le numérique peut aider. »

Quelle est la place des soins virtuels dans cette vision? Pendant la pandémie de COVID-19, grand usage a été fait des soins virtuels, mais on ignore toujours si ceux-ci améliorent la qualité des soins. Comme le fait remarquer le Dr Bhattacharyya, les patients aiment beaucoup communiquer de façon asynchrone, par courriel, avec les médecins, mais dans la plupart des provinces, répondre à des courriels n’est pas facturable, et aux États-Unis, où cette pratique est répandue, celle-ci a été corrélée avec l’épuisement professionnel chez les médecins.

« Que peut-on faire afin de comprendre ce qui se passe dans les autres provinces et adopter les mesures qui y sont prises pour améliorer la qualité des soins et réduire l’épuisement professionnel », demande le Dr Bhattacharyya. « Il est possible de tirer des leçons de 13 stratégies différentes pour ce qui est de la meilleure façon de procéder. La messagerie asynchrone est la façon de communiquer qui a le plus de potentiel en soins de première ligne, et c’est la forme de communication la plus utilisée, car elle est complète; elle permet aux patients de poser des questions. Elle a beaucoup d’avantages, mais aussi quelques inconvénients, et c’est pourquoi nous avons besoin de systèmes et de réseaux pour comprendre la meilleure façon de procéder. »

Et un élément clé de ce travail est de faire partenariat avec les patients. À sa réunion en personne, le conseil des patients a tenu un cercle de discussion où les membres se sont exprimés sur leur expérience des soins de première ligne, et cela a fait ressortir pour Steve le rôle vital des patients partenaires.

« Ça a été très émouvant et significatif, car cela a donné aux gens la possibilité de parler sans être interrompus. Cela a très bien fonctionné parce que les gens se sont rendu compte que ce qu’ils disaient était important et qu’ils étaient écoutés ».

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