D’une dépendance accidentelle aux opioïdes à l’action en faveur des victimes

Charlotte Munro s’est fait tatouer son ECG quand elle est sortie d’un coma presque fatal. C’est un genre de talisman, avec le message « aie confiance » incorporé dans les lignes du graphique.

« Lorsque les médecins n’avaient pas de pronostic à donner à mes parents et qu’il était question de m’enlever les appareils de réanimation, mon père a persisté, insistant chaque jour qu’on me donne un jour de plus et ne cessant de répéter : “Aie confiance” », dit Charlotte. « Après deux semaines, la veille de Noël 2014, je suis sortie du coma. »

Sa mort évitée de justesse a été le début de la fin d’un cauchemar qui a commencé par la prescription d’un timbre de fentanyl pour la douleur qui l’a plongée dans une dépendance accidentelle aux opioïdes. Aujourd’hui, Charlotte met à profit son expérience vécue pour aider d’autres personnes qui utilisent des opioïdes en tant que patiente partenaire de l’ODPRN (le Réseau de recherche sur les politiques ontariennes en matière de médicaments), un centre de recherche de l’USSO, qui se consacre à la recherche sur les politiques relatives aux drogues, en lien particulièrement avec la crise des opioïdes. Elle défend également les intérêts des personnes vulnérables et milite pour la santé mentale.

Membre du groupe consultatif sur l’expérience vécue de l’ODPRN, Charlotte a apporté le regard, l’avis et l’éclairage d’un patient à l’Opioid Mortality Surveillance Report publié en 2019. Parce qu’elle vit à Stratford (Ontario), son point de vue unique de citoyenne d’une petite ville assure la représentation de différents milieux.

« J’aime vraiment faire partie du groupe, et cela me donne une motivation après ma situation, qui était plutôt horrible. C’est faire quelque chose de bien à partir de quelque chose de mal », dit Charlotte. « Je veux rester impliquée et voir des changements pour que moins de familles souffrent. Par mon expérience, je veux aider à cet égard. »

Redonner, aider les autres et raconter son histoire sont au cœur de ce qu’elle est aujourd’hui.


L’histoire de Charlotte

C’est une maladie non diagnostiquée qui a fait sombrer Charlotte dans l’abîme de la dépendance aux opioïdes et l’a conduite aux portes de la mort.

Il y a une dizaine d’années, elle ressentait des douleurs osseuses aux jambes, qui ont mené à un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde. On lui a prescrit un timbre de fentanyl, qui la faisait transpirer abondamment. On a donc remplacé le fentanyl par l’hydromorphone, un autre opiacé utilisé pour traiter la douleur.

Un nouveau diagnostic de nécrose avasculaire a été porté par la suite. Il s’agit d’une maladie douloureuse et grave où l’os meurt par manque d’oxygène.

Une rencontre fortuite à bord d’un autobus en rentrant du travail a tout changé. Après qu’elle eut donné un billet d’autobus à une autre jeune femme, les deux ont commencé à échanger et ont découvert qu’elles prenaient toutes les deux du Dilaudid pour des douleurs aux jambes et, dans le cas de l’autre femme, une chirurgie du genou.

« C’est là que tout a basculé », dit Charlotte. « J’étais très naïve, facilement influençable, crédule et insécure. »

Charlotte et la femme se sont immédiatement liées d’amitié, une amitié que Charlotte a par la suite trouvée destructrice lorsque l’amie en question lui a appris à se défoncer avec ses médicaments et l’a présentée à d’autres personnes qui ont profité de son accès aux opiacés sur ordonnance.

À la fin, l’autre jeune femme a contracté une endocardite, une infection du cœur parfois mortelle, et on lui a retiré le respirateur artificiel après trois jours seulement. Charlotte et elle avaient 23 ans.

« Les gens qui volaient mes médicaments avaient la même dépendance que moi. Nous étions dans le même enfer, mais ce qui nous y avait précipitées était différent. »

Lorsqu’elle a cessé de prendre ses médicaments, elle a découvert que sa prescription de 180 pilules par mois valait 7 200 $ dans la rue.

Cherchant à s’en sortir, Charlotte a déménagé en 2014 dans une petite ville de l’Ontario, près du lac Huron, où elle a arrêté complètement les opioïdes pendant six semaines avant de commencer la méthadone pour pouvoir en finir avec les opiacés. Cependant, ses douleurs aux jambes et aux os ont continué, et elle se sentait de plus en plus mal. Elle a finalement été admise à l’hôpital dans le coma avec une endocardite.

« J’ai été dans le coma pendant deux semaines, au cours desquelles mes organes ont commencé à cesser de fonctionner. Ma famille pensait que j’allais mourir et a commencé à faire des arrangements funéraires. »

Lorsqu’elle s’est réveillée entourée de sa famille la veille de Noël, tout le monde a cru au miracle.

« J’étais guérie corps, cœur et âme », dit Charlotte.

Elle pense beaucoup à la fille qui n’a pas survécu et à ce qui aurait pu être.

« On se demande ce qui serait arrivé si cette fille n’avait pas été débranchée. L’a‑t‑on laissée partir parce qu’on la considérait comme une “droguée” et que sa famille n’était pas là pour questionner l’équipe médicale? » Je pense beaucoup à elle.

Le présent

Vivant heureuse à Stratford, Charlotte, qui a maintenant 33 ans, travaille auprès des enfants et des adolescents. Elle a aussi commencé à faire du bénévolat pour reprendre lentement une vie normale. L’an dernier, elle a été embauchée par un organisme local comme intervenante auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle. Elle offre également un répit personnel aux personnes qui vivent à la maison en leur apprenant à prendre l’autobus, à faire du bénévolat et à sortir dans la communauté.

Si elle peut aller de l’avant, c’est grâce à un conseiller qui la soutient, à un mentor qui veille sur elle, et au logement subventionné.

La détermination et l’ouverture d’esprit sont les qualités essentielles qui lui permettront de reprendre sa vie en main.

« Je me suis amélioré par moi‑même, j’ai fait tout ce que je pouvais pour devenir meilleure », dit-elle. « J’ai développé mon estime de moi parce que je pense que c’est ce qui me manquait, je ne m’aimais pas. Je pense tout à fait différemment aujourd’hui. »

Elle a notamment exploré son côté créatif, ce qui a mené à une entreprise de bijoux, Mia and Munro, du nom de sa chienne, Mia, ainsi qu’à la photographie, au travail de l’argile, à la fabrication de boutons et d’aimants, et plus encore. Bénévole active dans son milieu, elle siège à un conseil d’administration local, recueille des fonds pour une maison d’hébergement pour femmes et la marche pour l’autisme d’un conseiller municipal, et soutient également un organisme pour les sans‑abri.

Militant aujourd’hui en faveur de l’usage de la naloxone (médicament qui inverse les surdoses d’opioïdes), Charlotte partage son expérience plutôt que d’en avoir honte. Elle offre son soutien aux personnes et à leur famille qui éprouvent des difficultés, leur donnant l’espoir qu’il y a moyen de s’en sortir.

« Le coma a changé ma vie. Je n’ai aucun discours négatif, aucun. Je vois les choses différemment. Je n’ai plus mal et je ne prends plus de médicaments. »

Son ECG montre qu’elle est guérie et n’a plus besoin d’être suivie.

« Avant que tout cela commence, je n’allais pas bien. Que j’aie profité de mon médecin et que cela m’ait menée sur cette voie, je n’en sais rien. Je n’avais aucune idée de ce qu’étaient les opioïdes. »

« Tout ce que je peux faire, c’est être très heureuse et reconnaissante d’être ici, et pas une autre statistique. » « Cela est difficile quand on sait que beaucoup n’ont pas réussi à s’en sortir. »

Faire connaître son expérience par l’entremise de l’ODPRN l’aide à guérir.

« Je m’estime très chanceuse que les choses aient pris une autre tournure. Je suis comblée à Stratford. J’ai vraiment bien fait de déménager ici. »

Pour d’autres récits semblables de l’ODPRN et de Healthy Debate, voir The Opioid Chapters.

Comme raconté à Kim Barnhardt.

Des mots de sagesse

Charlotte veut que son expérience serve aux personnes en rétablissement, à leurs familles et aux professionnels de la santé :

« Certaines personnes trébuchent maintes fois, mais il ne faut pas les abandonner. Si cela m’est arrivé et que je m’en suis sortie, pensez à tout le potentiel que peuvent avoir ces autres personnes. »

  • Ne sortez pas du cabinet de votre médecin avec des questions. J’ai l’impression que je n’ai pas été bien renseignée sur ce qu’on m’a donné (des opioïdes contre la douleur). Des conseils auraient peut‑être été utiles avant que les opiacés deviennent nécessaires.
  • Aimez‑vous. Ce que je faisais était plutôt mal, plutôt risqué. La vie est trop courte. Quand on est dans ce genre de dépendance, on n’y pense pas. On pense à obtenir sa prochaine dose. Cela nous change.
  • Aux membres de la famille – Restez engagés, profitez des possibilités de consultation offertes aux membres de la famille. Soyez un soutien. Veillez sur eux. Les gens ont besoin de savoir qu’on se soucie d’eux.
  • Obstacles – La stigmatisation des personnes qui consomment des opioïdes et les étiquettes qu’on leur colle sont des obstacles au rétablissement et à l’acceptation, et même aux activités de la vie quotidienne.
  • Rétablissement – Il est important de savoir quels réseaux de soutien existent (comme le counseling et d’autres formes de soutien), quelles activités créatives de groupe, afin de pouvoir sortir et rencontrer des gens qui sont dans le même bateau. La camaraderie est importante.
Boutons fabriqués par Charlotte pour une campagne de sensibilisation à l’importance de la naloxone pour sauver des vies.
Au marché avec des créations. « Je suis heureuse et je me débrouille bien », dit Charlotte.